mercredi 10 octobre 2012

Le livre et la tomate







« Les seules personnes nécessaires dans l’édition sont maintenant le lecteur et l’écrivain. » C’est du moins ce que pense M. Jeff Bezos, PDG d’Amazon. La disparition des métiers du livre, depuis l’éditeur jusqu’au bibliothécaire en passant par le libraire, et toute la chaine des artistes et artisans de l’imprimé (illustrateur, maquettiste, correcteur, imprimeur, etc.), n’est pas seulement un corolaire de l’économie libérale mondialisée, elle est nécessaire à celle-ci. La transformation de la culture en simple produit de consommation-divertissement présuppose l’élimination des apports individuels et humains, la négation des savoirs et compétences. M. Bezos oublie d’ailleurs de dire que les auteurs ne sont quasiment plus payés, s’ils ne sont pas des « stars » : ils sont en voie de devenir de simples sous-traitants délocalisés de diffuseurs tels qu’Amazon.

Certains ont décidé d’entrer en résistance, et ont créé le groupe des 451, du nom du célèbre roman de Ray Bradbury, qui dépeint un monde heureux dans lequel les livres sont brûlés. Les 451 refusent la fatalité totalitaire : « C’est parce que nous prenons la mesure du désastre en cours que nous sommes optimistes: tout est à construire. »

Toujours selon M. Bezos, grand penseur de la finance culturelle, « le livre papier, c’est la technologie d’hier». Les 451 récusent ce présupposé : « nous refusons d’emblée le terme de ‘livre numérique : un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette ne sera jamais un livre. » Nous verrons très bientôt si M. Bezos et ses pareils réussiront à faire disparaître le livre, comme ils ont déjà réussi à mettre dans nos assiettes des aliments sans goût, et, accessoirement, nocifs pour l’être humain.

Le cas de l’agriculture est intéressant, puisqu’elle a déjà subi ce qu’est en train de vivre la culture : elle est devenue une simple branche de l’industrie agro-alimentaire. Le manifeste des 451 cite un paysan :

« Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelée “tomate”, tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu.»




Une ex-librairie à Paris

2 commentaires:

Gould a dit…

Je souscris à votre manifeste mais me semble t-il vous vous trompez de responsable :

la disparition du livre, et des libraires, est avant tout lié à la disparition du lecteur. Pour vous en convaincre, observez dans une rame de métro la proportion de yeux rivés sur un écran et ceux sur du papier. Il y a juste de moins en moins d'appétit pour le livre.

Chez les libraires associés a dit…

Dans ce cas il y a aussi de moins en moins d'appétit pour la tomate, puisque l'immense majorité des gens consomme de la tomate de merde, si vous nous passez cette expression fort appropriée. C'est oublier, simplement, que nous consommons pour l'essentiel ce que nous sommes conditionnés à consommer (quel est le budget communication d'Apple, par exemple ?).